Actions au Sénat - Intervention en séance

Débat sur la privatisation des autoroutes.

20 Octobre 2005

 

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

Philippe Nogrix au SenatM. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement du 1er juillet dernier, le groupe UC-UDF avait été le premier à soulever la question du financement des infrastructures de transport, ainsi que de sa pérennité, et à s'interroger sur la pertinence du choix fait par la nouvelle équipe gouvernementale à la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre.

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, ce sujet nous tient à coeur. Je déplore seulement que nous débattions aujourd'hui sur une question qui est déjà tranchée. C'est étrange dans un régime parlementaire ; il n'y aura pas de vote à l'issue de ce débat. Surtout, monsieur le ministre, vous avez déjà demandé aux soumissionnaires du premier tour de vous adresser des offres fermes.

Toutefois, il me semble important de réaffirmer l'opposition du groupe UC-UDF à cette décision, qui privilégie le court terme et est en totale opposition avec les choix opérés par le précédent gouvernement et issus d'une longue réflexion ainsi que d'une concertation suivie avec le Parlement.

En juin et en décembre 2003, le Sénat débattait des infrastructures de transport et de leur financement. Une majorité des sénateurs, notamment notre ancien collègue Jacques Oudin, souhaitait alors un financement dédié, grâce à l'affectation du produit des participations de l'Etat dans les sociétés concessionnaires d'autoroute.

M. de Robien lui-même, dans un gouvernement auquel participait M. de Villepin, sous l'autorité de M. Raffarin, s'était très clairement exprimé en décembre 2003 sur cette question, en ces termes : « Soit on vend tout de suite les sociétés d'autoroutes, et cela fera peut-être du bien immédiatement, mais on risque de le regretter pendant dix, vingt ou trente ans ; soit on ne les vend pas, et on engrange alors pour le compte de l'Etat des dividendes qui permettront de réaliser des infrastructures, notamment de transports alternatifs, pendant dix, vingt ou trente ans. »

M. Daniel Reiner. Eh oui !

Philippe Nogrix au SenatM. Philippe Nogrix. C'est bien là le rôle d'un ministre chargé des transports et de l'équipement. A notre sens, la politique d'aménagement du territoire ne se décide pas à Bercy.

Tous ces débats, assez consensuels, inspirèrent la décision du CIADT du 18 décembre 2003 en faveur du maintien des participations de l'Etat dans les sociétés autoroutières. Mais ce qui était bon hier ne l'est plus aujourd'hui, parce que l'on ne tient plus, à Bercy, le même raisonnement qu'à l'époque.

A la suite de cette décision fut créée l'Agence de financement des infrastructures de transport en France, l'AFITF, établissement public chargé de financer la part des contributions publiques incombant à l'Etat dans le cadre de la planification à long terme des infrastructures nationales de transport définie lors du CIADT du 18 décembre 2003.

En décembre 2004, le Parlement votait le projet de loi de finances pour 2005, dont l'article 60 affectait à l'AFITF le produit des participations d'Etat, soit environ 280 millions d'euros. Déjà, à cette époque, un certain nombre de professionnels nous avaient fait part de leurs inquiétudes quant à la pérennité des ressources de l'Agence. En effet, les fonds dédiés aux infrastructures ont tous été supprimés à plus ou moins brève échéance.

Ainsi, trois de nos collègues de l'UMP, MM. Bécot, Besse et Leroy, avaient même déposé un amendement ayant pour objet de transférer à l'AFITF la propriété des participations détenues par l'Etat et l'établissement public Autoroutes de France dans le capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes. En assurant en partie l'autonomie financière de l'AFITF, cet amendement garantissait l'affectation durable de ressources aux infrastructures et la pérennité de l'Agence, mais il n'a pas été adopté.

En revenant sur ces décisions, qui étaient approuvées par la quasi-unanimité non seulement des parlementaires, mais aussi des professionnels du secteur, le Gouvernement sacrifie l'avenir au présent. Tout l'argent retiré de la vente disparaîtra dans le déficit, sans que cela ait d'incidence décisive sur le désendettement. C'est non pas de quelques milliards d'euros dont nous avons besoin pour redresser nos finances publiques, mais d'une politique courageuse et de mesures constructives. Je tiens à le dire, même si cela peut faire sourire certains !

Parallèlement se pose la question de la pérennité du financement des infrastructures de transport. Le comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires de vendredi dernier a apporté les premiers éléments de réponse à cet égard, mais qu'en sera-t-il, comme l'a dit tout à l'heure M. Retailleau, au-delà de 2012 ? Les dividendes des concessions étaient, eux, assurés jusqu'à 2028 ou 2032.

Vous prévoyez en outre, monsieur le ministre, de recourir aux partenariats public-privé, qui vous sont chers, pour assurer le financement de certaines infrastructures. Cependant, pour « armer » de tels partenariats, il est nécessaire que l'Etat s'engage à prendre aussi sa part. Ainsi, pour le projet Seine-Nord, il semblerait que l'insuffisance du financement remette en cause le calendrier initialement établi, ce qui repousse de quelques années la réalisation d'une infrastructure réclamée par les élus locaux et les usagers.

Enfin, comment sera affecté le produit de cette vente, hormis les 4 milliards d'euros alloués à l'AFITF ? On parle de 2 milliards d'euros pour l'Agence de l'innovation industrielle, de 1 milliard d'euros pour l'Agence nationale de la recherche, de 100 millions d'euros pour des travaux intéressant le patrimoine culturel, et même d'une dotation à la politique de la ville... Ne risque-t-on pas de promettre plusieurs fois les mêmes milliards ? (M. Daniel Reiner approuve.)

Dans un second temps, monsieur le ministre, nous tenons à réaffirmer avec force la légitimité du Parlement pour trancher une telle question. Vous vous retranchez derrière un avis du Conseil d'Etat en date des 25 et 29 août, qui n'a été rendu public que cette semaine, sur le site Internet d'un quotidien. Certes, le Conseil d'Etat considère qu'il n'est pas besoin de consulter le Parlement, puisque l'Etat détient directement moins de 50 % du capital de chacune des sociétés d'autoroutes concernées : ASF, Autoroutes du Sud de la France, APRR, Autoroutes Paris-Rhin-Rhône et SANEF, Société d'autoroutes du Nord et de l'Est de la France.

M. Daniel Reiner. C'est spécieux !

Philippe Nogrix au SenatM. Philippe Nogrix. Cependant, comme François Bayrou l'a démontré la semaine dernière, Autoroutes de France, établissement public administratif, peut tout à fait être assimilé à l'Etat.

De plus, nous avons le droit, et même le devoir, nous parlementaires, de nous prononcer sur cette question quand 70 % des Français se déclarent opposés à cette vente. Pourquoi court-circuiter le Parlement ? Nous aurions certainement pu éclairer l'opération, ce qui nous aurait permis de mieux défendre les emplois actuels, de mieux protéger les usagers au regard de l'évolution des péages et de rester les véritables décideurs en matière d'affectation des résultats et de réalisation des travaux dans le respect des adjudications.

En conclusion, monsieur le ministre, le groupe de l'Union centriste-UDF, au nom duquel je m'exprime, est résolument opposé au changement de gestionnaires de nos sociétés d'autoroutes dans les conditions aujourd'hui connues.

En revanche, nous tenons à souligner la qualité du travail qui a été accompli par le gouvernement précédent, notamment par MM. Raffarin et de Robien, et qui avait permis d'aboutir à une solution équilibrée permettant à la France de poursuivre la mise en oeuvre d'une politique de transports ambitieuse et prenant en compte la protection de l'environnement. Ce travail avait été présenté au Parlement, qui avait pu donner son avis. A l'UDF, nous voulons garantir le débat et permettre aux parlementaires d'enrichir et de mieux assurer la réussite des politiques et des initiatives du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées socialistes. - M. Bruno Retailleau applaudit également.)

 

Pour lire l'intégralité du débat, cliquez ici 
(Disponible sur le site du Sénat).

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