REVUE DE PRESSE

"RTT : Il faut des NEGOCIATIONS EN VERITE "

 

Interview de PHILIPPE NOGRIX

Sénateur, groupe de l'Union centriste
Vice-Président du Conseil général d'Ille et Vilaine
Représentant de l'Assemblée des départements de France à la CNA

 " Il faut des NEGOCIATIONS EN VERITE "

La RTT, explique Philippe Nogrix, ne peut aller de pair avec le maintien de certains avantages acquis ; elle suppose des négociations réelles et sincères à tous les niveaux.

Union Sociale - D'une façon générale, comment vous situez-vous par rapport à cette question de la RTT dans les associations sanitaires et sociales ?

Philippe Nogrix - D'abord, prenons-nous les choses du bon côté ? Vouloir à tout prix mettre en oeuvre les 35 heures, c'est un objectif, mais où sont les moyens ? Pourra-t-on répondre aux besoins ? Car la seule vraie question est : qui va payer, à un moment où à un autre ? Il est clair que les 35 heures auront un coût élevé, ne serait-ce que parce que les prestations ne doivent pas changer de niveau. L'enjeu, pour tout établissement, étant le suivant : avec le gel des salaires, la suppression de certains avantages acquis, la réorganisation des services, plus les aides de l'Etat, le budget au bout de cinq ans restera-il suffisant ? Je n'en suis pas du tout persuadé. Or, il faut savoir qu'en moyenne, 50 % du budget d'un Conseil général est affecté à l'action sociale, sa compétence la plus importante ; d'où notre inquiétude.

A votre avis, où faut-il rechercher des marges budgétaires ? Du côté de la réorganisation du travail ? Ou envisagez-vous de remettre à cause, comme le propose un représentant de l'ADF à la CNA, les avantages non conventionnels consentis aux personnels ?

Heureusement, avec la bonne volonté partagée, il y a toujours possibilité de mieux s'organiser et donc de gagner quelques degrés de productivité ; mais trop souvent cela provient d'un relâchement antérieur qu'il aurait bien fallu, un jour ou l'autre, rectifier. Je vois beaucoup de bonnes intentions sur le papier, j'attends de voir et j'entends déjà les revendications. S'agissant des congés trimestriels, il faut retrouver la mesure du raisonnable concernant des avantages acquis à une période où la croissance permettait d'être trop généreux. Il y a des esquisses de prise de conscience, mais il faudra du temps, donc commençons vite.

Vous êtes le membre de la CNA ; quel est le rôle de cette instance, à quelles difficultés est-elle confrontée ?

La CNA est débordée, car le nombre de dossiers RTT à traiter est très important et ses moyens humains ne sont pas à la hauteur. En effet, le principal problème de la CNA est de séparer, lors de l'instruction des dossiers, ceux qui sont véritablement honnêtes des autres, du point de vue de la réalité budgétaire et de l'équilibre des comptes. D'où la difficulté d'instruire les dossiers en concordance avec les instructions du ministre, sachant, par ailleurs, que la CNA est interministérielle : un dossier RTT donné peut recevoir l'aval des services de Mme Aubry et parallèlement, se voir opposer un veto par Bercy, pour qui les conditions permettant d'affirmer qu'il n'y aura pas de dérive budgétaire sur cinq ans ne sont pas assurées ...

 Dans quels domaines du sanitaire et social la mise en oeuvre de la RTT pose-t-elle le plus de problèmes ?

Le secteur sanitaire est celui où les choses sont les plus délicates. Car là sans doute, dans beaucoup de cas, les équipes sont pourvues au plus juste. J'aurais trouvé logique de répartir l'effort plutôt en confortant les moyens là où ils sont insuffisants qu'en finançant une RTT dont les effets seront insupportables pour certains personnels et superflus pour d'autres.

 Comment les conseils généraux interviennent dans la procédure d'agrément ? Sur quels critères donnent-ils leur feu vert ?

Les services des départements instruisent au fil de leur dépôt les accords RTT et font connaître à la CNA la position du Conseil général. Pour les financements, Martine Aubry a promis que seuls les accords équilibrés seraient agréés. Pour l'Ille et Vilaine, deux critères principaux sont pris en compte.

Un : y a-il eu vraiment négociation entre direction et personnel pour envisager une réorganisation, sachant que, notamment dans l'aide à l'enfance, il est difficile de parler annualisation du temps de travail...

Deux : la qualité du service rendu. Quel est l'effectif nécessaire pour prendre en charge tel groupe de personnes fragiles ? En clair, défend-on un lobby de salariés ou la mission confiée au secteur sanitaire et social ?

Trop souvent, le milieu associatif est difficile à gérer car les élus associatifs - souvent des bénévoles - ne s'investissent pas assez dans la gestion du personnel.

De votre point de vue, existe-t-il un risque réel que la RTT nuise à la qualité des prises en charge ?

Je garde une confiance totale dans la conscience professionnelle des prestataires du secteur sanitaire et social. Mais je crains que ce soit les salariés qui trinquent, car il faudra répondre à la demande : la RTT ne contribuera en rien à la qualité de vie des personnels, car ils ont une déontologie et ils seront obligés de continuer à assurer le service à la personne, qui ne peut pas être négligé. Ils ne pourront pas dire, s'ils ont une tâche à finir, " J'ai fait mes 35 heures, je m'en vais ".

Au-delà, il faudra beaucoup de rigueur pour appliquer la RTT, car certains salariés du secteur sont déjà, dans les faits, à 35 heures, en durée moyenne sur l'année, voire moins, grâce aux congés supplémentaires. C'est pourquoi je redis que la RTT devait être un objectif de négociation mais ne devrait pas être imposée par la loi, car chaque cas est particulier. Le vrai problème de la RTT, ce n'est pas les 10 % de RTT, mais la base de calcul dont on part : les salariés étaient-ils, à l'origine, à 39 heures effectives ou à 35 ?

Vous appartenez à l'Assemblée des départements de France, quelles sont les positions clés de l'ADF sur ce dossier ?

La RTT n'était pas une nécessité. Elle ne devait être envisagée qu'après une réforme profonde des secteurs concernés. Cela devait passer par une négociation préalable, par une estimation des besoins, par un recensement des moyens disponibles. La RTT aurait du être un objectif et non pas l'application idéologique d'une promesse mal évaluée. Il faut faire avancer les choses, mais imposer une réforme, c'est déjà quelque part la faire avorter.


Propos recueillis par Luc EMERIAU

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